Elle se regarda avec bienveillance et émotion et se remémora le chemin parcouru…
Lorsqu’elle a acheté cette maison qui l’éblouissait et la fascinait déjà , elle n’avait pas vraiment remarqué qu’il y avait, incrustés ou accrochés aux murs des différentes pièces des miroirs…et pas des moindres….de grands miroirs, imposants, occupant parfois tout un pan de mur.
Dans cette maison qui lui semblait magique, ces miroirs agrandissaient les pièces, les faisaient se répéter à l’infini….on n’en voyait pas la fin.
Elle fut subjuguée par la magie du lieu magnifié par la réflexion de la lumière éclatante, chaude, augmentant, s’il était encore possible, la luminosité de cette région pourtant déjà baignée de lumière.
Ainsi, elle tomba instantanément sous le charme, émue à l’extrême, de cette maison éclairée de mille feux, sans penser à l’essentiel !
Elle ne s’aimait pas, évitait le plus possible de se regarder dans un miroir, tant elle trouvait son image peu conforme aux canons de la beauté qu’elle s’était fixés. Comment faire, alors, quand, de la chambre au salon, de la salle de bains à l’entrée, votre image vous suivait partout ? S’éviter toute la journée, du lever au coucher, la belle affaire ! Regarder en face son corps, ses cheveux, ses mouvements, ses mimiques, sa façon de manger, de parler, son corps vieillissant ? Regarder son image, sa vérité, tout cela lui sembla difficile.
Bien sûr, dans sa prime jeunesse, elle se regardait beaucoup, s’observait, rectifiant une attitude, une mèche indisciplinée , un vêtement mal ajusté, très attentive à l’image qu’elle donnait d’elle-même dans le but de séduire. Elle se satisfaisait de son image.
Les années aidant, elle commença à s’éviter, à critiquer ceux qui se regardaient sans cesse dans les miroirs, même si vous étiez en conversation avec eux, le regard perdu dans l’image d’eux même, au lieu de soutenir votre regard. Elle se fuyait, se maquillait furtivement dans sa salle de bain, toujours plus vite, en passant…. Le reflet d’elle ne correspondait plus à ce qu’elle aurait voulu voir d’elle.
Comment faire, alors, dans cette maison aux miroirs qui captaient sans cesse son image ? Bientôt, on se serait cru dans un palais des glaces, presqu’une histoire de fête foraine. Sans compter qu’ils ne lui renvoyaient pas tous la même image ! Certains l’ avantageaient, d’autres non, ce qui la désespérait encore davantage.
Que faire ? Baisser les yeux toute la journée ou apprendre à s’aimer ?
La deuxième solution finit peu à peu à gagner du terrain, tout doucement, à son insu. Elle a remarqué peu à peu la beauté de son pied au lever, la courbure douce et harmonieuse d’un sein ou d’une hanche au saut du lit, la douceur nacrée de sa peau…Elle se sentit joyeuse.
Au salon les différents miroirs multipliaient les bouquets de fleurs qu’elle aimait composer, les objets, tableaux, tables de Noël étincelantes où les bougies se reflétaient à l’infini, comme si la vie n’était plus qu’une fête.
Peu à peu, elle s’est aimée et regardée parler, chanter, vivre, de plus en plus en paix avec elle-même.
Si on lui demande pourquoi il y a tant de glaces autour d’elle, elle ne vous répondra pas, mais sourira à son image en pensant au chemin parcouru. Elle se regarda penser, réfléchir, réagir aux discours des autres, mais aussi établir un dialogue avec elle-même , s’interroger et l’interroger…Que dit de moi ce miroir, se dit elle, cette image que je présente aux autres ? Miroir, mon beau miroir, que reflètes tu de moi ? Si je rougis, tu ne m’épargnes rien, je ne peux rentrer sous terre…tu me fais peur parfois ou me tranquillise, j’apprends ainsi à mieux me connaître en m’observant dans ton reflet. Ces images de moi qui défilent de pièce en pièce me suivent, me poursuivent, me décrivent, captant toutes mes émotions jour après jour, heure après heure….
Elle aima se regarder vivre avec joie et bienveillance, se surprit à répéter un discours, des répliques, à grimacer, à rire…
Miroir, mon beau miroir, avec toi, se dit elle en se regardant, j’ai gravi le sommet d’une montagne qui me semblait inaccessible, pour arriver à l’acceptation de soi.
Elle se sentit heureuse et fière d’elle-même.
Claire Lasserre : octobre 2021